"La première fois que V a assisté à l’un de mes séminaires, j’ai cru voir arriver une femme d’une ancienne tribu, grande, gracieuse, un maintien d’une porteuse d’eau, une origine mystérieuse, une Peul-Vietnamienne-Africaine vêtue de couleurs tribales mais dans un style libre et contemporain voire futuriste, un chignon émergeant de son chapeau découpé. Des tatouages raffinés, un beau sourire, une peau dorée. Une aura de douceur, de puissance et de créativité se dégageait d’elle et ses mouvements félins ne faisaient qu’ajouter au mystère mais ce n’était qu’une première impression.
Plus tard je découvris que V participait à de fréquentes missions humanitaires avec Médecins du Monde en Tchétchénie, au Mali, au Népal, à Haïti et qu’elle avait vu de près l’horreur et la beauté. Elle avait une famille harmonieuse, quatre filles, elle sautait en parachute avec le matériel médical dans un sac à dos pour atteindre les endroits sans route et sans espace pour qu’un petit avion puisse se poser, bref elle risquait sa vie pour sauver celle des autres, soignant parfois sans les médicaments d’urgence et sans le matériel retenu par des politiciens corrompus. Lorsque, quelques années plus tard, elle se porta volontaire pour être l’une des premières à entrer dans Alep dévastée, je tentai de la dissuader, les snipers de Daech aimaient prendre pour cible les porteurs de croix rouges. Heureusement, le quai d’Orsay interdit l’envoi d’équipes médicales à ce moment éminemment risqué.
Elle me parla de son métier, non comme un membre du corps médical mais comme une chamane pourrait parler d’un rituel qui la relie au cosmos. Ce qui me frappait, c’était cet élan d’amour qu’elle avait pour les femmes, pour les êtres mais aussi pour la totalité de la création, les plantes, les animaux, les minéraux. Je voyais sa capacité naturelle de s’émerveiller devant toutes les formes de beauté et je sentais son pouvoir de faire partager cet enthousiasme à ceux qui l’approchaient. J’imaginai sans peine comment cela pouvait ouvrir les êtres et leur faire ressentir leur propre beauté, leurs racines anciennes, la présence de cet état d’absolue pureté intérieure que les agressions, le déni, les violences subies ou simplement les effets d’une vie morne et mécanique, dépourvue d’enthousiasmes et d’élans avaient peu à peu éteints. Je voyais un enthousiasme qui donne la vie.
Je pensais à l’un de mes maîtres, Thich Nhat Hanh, qui insistait beaucoup sur la présence de ce territoire absolu au cœur de chaque être. Il enseignait que si nous sentions cet espace immaculé en nous, nous pouvions le communiquer par résonnance aux êtres qui avaient souffert les pires violences. C’était l’essentiel de ce qu’il avait communiqué aux enfants prostitués de Djakarta.
La seule présence bienveillante pouvait guérir en profondeur. Une forme d’innocence face à la violence des hommes. Pas une innocence naïve puisque V était sans cesse confrontée à des femmes de toutes origines victimes de cruauté. Elle savait mieux que personne à quel point l’agression est cachée, masquée par la culpabilité et présente dans tous les milieux sociaux. L’innocence dont il est question ici est d’une autre nature et correspond bien à la définition d’Oscar Ichazo qui a transmis l’ennéagramme à Claudio Naranjo : « L’être innocent répond avec fraîcheur à chaque instant, sans mémoire, sans jugement, sans attente. En innocence il expérimente la réalité et sa propre connexion avec son flux : »
V me parla ensuite de son travail en ostéopathie intra pelvienne, de la manière dont elle faisait travailler les douze muscles de la sphère sexuelle et de la tonification du plancher pelvien, par la théorie, par des exercices précis à l’énoncé poétique que vous trouverez détaillés dans ce livre, de son exploration du sacré (l’anus) qui dénouait les refoulements, le déni, les tensions et les peurs accumulées depuis l’enfance et consolidés par la terreur religieuse qui a toujours démonisé le corps. Elle me disait comment elle restaurait cet espace intime avec un toucher merveilleusement subtil et il faut bien le dire un peu magique. Son cabinet participait à cette approche globale où l’humain est replacé dans la nature : une pièce qui vous fait oublier d’emblée que vous êtes là pour un traitement médical. Un lieu coloré, accueillant, une très belle sculpture africaine de ventre de femme enceinte, des photos, des peintures, des livres, de la musique choisie avec soin et différente pour chaque patiente. Du thé vert, du jus de coco, parfois des framboises. Vous êtes déjà ailleurs. La connaissance de l’Ayurvéda étudié auprès d’excellents maîtres indiens, vient ajouter une note épicée à l’ensemble, sans parler de l’étendue des séances qui peuvent durer jusqu’à une heure trente.
Par la suite, après avoir envoyé beaucoup d’élèves la consulter, je recevais presque toujours le même retour : « Véronique a remis de l’espace dans mes organes sexuels, mon utérus, mon sacré, mon cœur. Les mémoires douloureuses s’estompent puis disparaissent. C’est magique ! »
Un jour, à la suite de ma propre expérience et des descriptions de mes élèves, au cours d’un stage que je donnais en Allemagne, sans l’avoir prévenue, je proposai à V de lui offrir l’après-midi pour qu’elle parle de son travail. D’abord surprise, elle se lança et le résultat ne se fit pas attendre. Beaucoup de participants voulaient explorer cette pratique peu répandue de l’ostéopathie intra pelvienne. Tous ne pouvaient pas faire le déplacement à Paris, j’encourageai alors V à proposer des stages en Europe pour faire connaître son approche. Elle leur trouva un joli titre : « Ma Yoni, mon Amour » et créa une structure de pratique qui se déroulait sur plusieurs jours dans un cadre intime et restreint, réservé aux femmes. Le plus étonnant était le courage de démontrer sur elle-même que la pratique est efficace, que tous ses muscles peuvent entrer en action et en frémissement, créer des vagues et des tourbillons, s’ouvrir et se refermer, expulser même le doigt qui a été invité à explorer la réalisation de la théorie. Montrer qu’il n’y a pas de différence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. L’enseignant est l’enseignement. C’est rare !
C’est un travail de réconciliation avec son corps, son histoire, ses traumatismes à travers des rituels de libération efficaces et originaux dans le silence de la présence. Il n’y a pas d’interprétation du toucher. C’est une expérience directe qui permet d’abandonner les processus mentaux qui réactivent sans cesse les traumas par la répétition de « L’histoire » liée à leur origine. La mise en silence du discours intérieur permet la guérison et ouvre à la liberté d’être en dehors des conventions, sans peur, avec le courage de redevenir une femme sauvage, généreuse, émotionnelle, puissante et aimante. C’est un extraordinaire bienfait pour les femmes mais aussi pour les hommes qui prennent conscience de la nécessité de l’écoute, du respect, de la douceur, de la fluidité, de la lenteur, de la merveille du rapport amoureux à l’autre et au monde car sans lien avec la totalité, avec la nature, le lien à l’autre n’est que violence. Il s’agit d’une écologie intérieure et planétaire qui peut encore nous sauver et qui est fondée sur la capacité d’émerveillement et la joie intérieure.
« Réveillez-vous femmes divines » défriche un domaine peu connu et expose une pratique essentielle pour libérer les femmes de la violence et leur restituer la puissance et la capacité du don, l’amour de soi et des autres, le lien profond avec la nature et l’espace du cœur. Cette approche est peu enseignée, peu pratiquée mais elle est radicale dans ses effets guérisseurs. Elle est destinée à un grand succès à condition de rester entre des mains magiques.
Daniel Odier